De nombreux médias à travers le monde ont récemment suggéré que la population sud-africaine de grands requins blancs (Carcharodon carcharias) avait été détruite par les orques ou épaulards (Orcinus orca). Les nouvelles retentissantes ont fait le tour du monde, même si en fait ce qui est rapporté ne correspond pas à la réalité des faits. De nombreux articles publiés par ces médias suggèrent également que l’orque est un prédateur habituel du requin blanc, un autre élément dont nous savons réellement qu’il n’est pas vrai. Que savons-nous vraiment de la relation entre ces deux espèces ?
Les orques ont une longueur moyenne bien supérieure à celle des grands requins blancs (environ 6 mètres, contre 3,5 mètres), un poids moyen beaucoup plus élevé (environ 4 tonnes contre environ 700 kg) et ils chassent généralement en groupe: ces éléments font que les orques sont évidemment très favorisés dans un affrontement entre les deux espèces. Par conséquent, bien que les grands requins blancs puissent s’attaquer aux dauphins, il n’est pas surprenant qu’à ce jour, il n’y ait jamais eu un seul cas dans lequel ils ont attaqué le plus grand des dauphins, l’orque. La supériorité physique et stratégique de l’orque sur le requin blanc ne doit cependant pas nous amener à penser que les orques attaquent normalement ces requins.
Des décennies de recherche sur le régime alimentaire et les tactiques de prédation des orques menées dans de nombreuses régions de la planète ont fourni des données solides prouvant que la plupart des populations de ces cétacés ne s’intéressent pas aux grands requins blancs. On sait que les différentes populations d’orques à travers le monde ont tendance à avoir un régime alimentaire plutôt spécialisé et par conséquent à modéliser leurs tactiques de chasse sur des différentes espèces d’une population à l’autre. Il n’est donc pas surprenant qu’il existe également des populations d’orques spécialisées dans la predation sur les poissons cartilagineux, compris les requins et les raies, et il est intéressant de noter que ces orques n’attaquent les grands requins blancs que dans des cas exceptionnellement rares. En dehors de l’Afrique du Sud, les seuls cas confirmés dans lesquels des orques ont attaqué et tué des requins blancs sont en fait seulement au nombre de trois à ce jour, observés en Californie et en Australie-Méridionale. Dans la pratique, ce sont des cas si rares qu’ils peuvent être considérés comme statistiquement non pertinents.
La seule exception à la situation décrite a été observée ces dernières années, à partir de 2017, dans les eaux de la région du Cap-Occidental en Afrique du Sud. Dans cette zone, deux orques semblent avoir tué quelques grands requins blancs, probablement un total de six, dans la région de Gansbaai, l’un des sites les plus célèbres au monde pour observer les requins blancs. Les autres orques qui fréquentent la zone en question se nourrissent généralement de dauphins, comme en témoignent de nombreuses observations faites au fil des ans, et sont généralement observés le long de la côte vers avril. Les deux orques mâles qui chassent les requins, d’autre part, ont tendance à être semi-stationnaires dans la région et ont la particularité d’avoir la nageoire dorsale effondrée, l’une penchant à gauche et l’autre à droite, ce qui leur a donné les noms de Port et Starboard (c’est-à-dire bâbord et tribord, qui en langage nautique indiquent la côté gauche et celle droite d’un bateau). Ce caractère est typique des orques âgées, malades ou gardées en captivité, essentiellement des spécimens qui ont une capacité motrice réduite.
On ne sait pas pourquoi ces deux orques ont commencé à chasser les requins, tuant et mangeant non seulement des requins blancs, mais aussi des requins plat-nez et des requins cuivre. Cependant, j’ai tendance à penser qu’il s’agit d’un comportement provoqué par notre espèce. On sait que les orques se nourrissent parfois de poissons capturés par les bateaux de pêche et en particulier de ceux capturés à la palangre. Une hypothèse est que les deux orques en question ont été touchés par des coups de feu tirés depuis un bateau de pêche, et suite aux blessures subies, ils n’étaient plus en mesure de chasser des proies telles que les dauphins, extrêmement agiles et capables de supporter la nage à grande vitesse pendant longtemps. Cela aurait pu les inciter à trouver une autre source de nourriture, les requins, en se concentrant surtout, mais pas exclusivement, sur leur foie, qui chez ces animaux a une taille considérable et est une source importante de lipides, c’est à dire d’énergie pour les orques.
Cependant, une chose est claire. Les orques peuvent être responsables de la mort de quelque grands requins blancs et peuvent amener d’autres à quitter temporairement la zone pour y revenir plus tard. Mais il n’a aucun sens de blâmer deux orques pour la diminution massive des grands requins blancs observés dans les eaux sud-africaines ces dernières années. C’est le résultat des activités humaines, en particulier la pêche, qui affecte à la fois les requins blancs et leurs proies. Et il n’est pas du tout exclu que, comme mentionné ci-dessus, que même ces meurtres de requins blancs par des orques n’aient été causés par une intervention humaine. »
Alessandro De Maddalena
L’orque peut occasionnellement s’attaquer au requin blanc, mais les cas réels répertoriés restent très peu nombreux.
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