La longue histoire des requins

Publié le 9 Avr, 2013

Le terme de requin est réducteur par rapport à la diversité que représente les poissons cartilagineux, ou Chondrichthyes. Ces poissons se caractérisent, comme leur nom l’indique, par l’absence d’os dans leur squelette qui est constitué exclusivement de cartilage. Ils incluent aujourd’hui les requins proprement dits (490 espèces), les raies (573 espèces) et les chimères (40 espèces).

Pour nombre d’entre nous, le mot requin évoque deux choses: un terrible prédateur et un animal provenant de la nuit des temps. S’il est vrai que les requins sont le résultat d’une très longue histoire, ils sont loin d’avoir traversé cette immensité sans changement, et le requin que nous connaissons aujourd’hui n’a que peu de choses à voir avec ses premiers ancêtres, vieux de 430 millions d’années. Quant à l’image du terrible prédateur, elle est bien sûr vrai pour quelques formes actuelles, tel le grand requin blanc, mais ce serait une erreur de limiter les requins à ces archétypes.

Leur monde est beaucoup plus varié que cela, du minuscule sagre elfe de 18 centimètres de long, jusqu’au gigantesque requin baleine de 18 mètres de long, tous deux bien inoffensifs à leur manière.

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Le sagre elfe, Etmopterus perryi – © Dessin Alain Beneteau

En fait, le terme de requin est réducteur par rapport à la diversité que représente les poissons cartilagineux, ou Chondrichthyes. Ces poissons se caractérisent, comme leur nom l’indique, par l’absence d’os dans leur squelette qui est constitué exclusivement de cartilage. Ils incluent aujourd’hui les requins proprement dits (490 espèces), les raies (573 espèces) et les chimères (40 espèces).

Les fossiles de poissons cartilagineux sont très abondants, mais très incomplets: on ne retrouve en général que les dents de ces animaux, car leur mode de remplacement “en tapis roulant” permet à chaque individu d’en produire plusieurs milliers de son vivant, excepté chez les chimères, où les dents fusionnent les unes avec les autres pour former des plaques soudées aux mâchoires. Le reste de leur squelette ne se fossilise que très rarement car le cartilage, tissu non minéralisé, possède une capacité à se préserver dans la roche bien moindre que celle de l’os, qui lui est composé à 65% de minéraux. En plus des dents, on peut également retrouver les minuscules denticules dermiques couvrant leur corps, qui ont en fait la même structure que les dents, et les épines que l’on trouve parfois en avant de leur nageoire dorsale (voir le dessin du sagre elfe ci-dessus).

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Dent fossile de Protolamna du Crétacé inférieur de Tunisie, à gauche, et épine dorsale d’un requin hybodonte du Crétacé inférieur de Thaïlande, à droite. © Photo G. Cuny

Reconstituer l’histoire de ces animaux est fort compliqué car lié à ce paradoxe: une abondance de fossiles, mais en general très incomplets, et donc difficile à interpréter.

Le paléozoïque ou l’âge d’or des poissons cartilagineux

Le paléozoïque (entre 543 et 248 million d’années) représente en quelque sorte l’apogé des requins. Ils atteignirent à cette période une diversité que l’on a peine aujourd’hui à imaginer.

Leur début fut cependant difficile. Les tout premiers fossiles de requins datent du Silurien supérieur et sont agés d’environ 430 millions d’années. Ils ne sont connus que par de minuscules denticules dermiques, suggérant que ces animaux étaient de petites tailles et dépourvus de dents. Jusqu’à la fin du Dévonien, il y a 354 millions d’années, leur succès restera limité. La raison de ces débuts difficiles est certainement la rude concurrence des placodermes dans les mers paléozoïques. Ces poissons dont la partie antérieure du corps était protégée par un bouclier osseux pouvaient atteindre 10 mètres de long et régnaient sur les océans de l’époque. Les requins évoluent à leur côté et adoptent des formes assez proches de ce que nous pouvons voir aujourd’hui, mais restent cependant beaucoup moins perfectionné, au moins en termes d’agilité et de vitesse.

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En Amérique du Nord, au Dévonien supérieur, le placoderme Holdenius attaque le requin primitif Ctenacanthus. © Dessin Alain Beneteau

Après l’extinction des placodermes à la fin du Dévonien, les chondrichthyens vont se diversifier et occuper à peu près toutes les niches écologiques aquatiques disponibles. Cette diversification va entrainer l’apparition de formes bien éloignées de l’image que l’on peut avoir de ces animaux en se basant sur des formes actuelles. Il est vrai que cette diversification va surtout profiter à ce que l’on appelle les euchondrocéphales, qui incluent les chimères actuelles, plutôt qu’aux élasmobranches, qui englobent les requins et les raies modernes.

De nombreuses lignées vont développer tout un arsenal de pointes et de pics afin d’assurer leur protection, notamment au sein des ménaspides et des Symoriiformes, mais ces attributs jouaient également un rôle dans la reproduction, et chez certains Symoriiformes, seuls les mâles possédaient de tels ornements, sans doute destinés à séduire les femelles. Les pétalodontes vont quant à eux se spécialiser dans la prédation des invertébrés protégés par une coquille dure dans les récifs, adoptant une forme de nageur de précision bien loin de la forme hydrodynamique des requins actuels. Ce qui n’empêchera pas certains d’entre eux, comme Belantsea, d’atteindre des tailles fort respectables, de plus d’un mètre de longueur.

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© Dessin Alain Beneteau

Au carbonifère, il y a 300 millions d’années, co-existaient en Amérique du Nord l’épineux Traquairius, un ménaspide et le nageur de précision Belantsea, un pétalodonte. Ces deux poissons sont cependant plus proches de nos actuels chimères que des requins a proprement parler.

Libérés de la concurrence des placodermes, les chondrichthyens vont également accroître significativement leur taille et on verra apparaître des formes de plus de trois mètres de long qui occuperont la niche de super prédateurs dans les océans. Certains, comme Helicoprion, développeront une impressionnante scie circulaire à l’extrémité de leur gueule, contenant jusqu’à 160 dents. Mais la sphère d’influence des chondrichthyens ne se limitent pas aux océans, ils vont également se développer dans les milieux d’eau douces, notamment avec les xénacanthes. Ces derniers possédaient un long corps anguilliforme qui leur permettait de se déplacer sans encombre dans la jungle aquatique des marais du Paléozoïque, et leur taille pouvait dépasser deux mètres.

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Deux xénacanthes des marais allemands du Permien, il y a environ 260 millions d’années: Orthacanthus à gauche et Triodus à droite. © Dessin Alain Beneteau

A la fin du Permien survient ce que l’on appelle une extinction en masse : une grande quantité d’espèces disparaît soudain de la surface de la terre sans laisser de trace (dont environ 90 % des espèces marines). Parmi les victimes, on comptera la plupart des chondrichthyens que nous avons briévement décrit ci-dessus. Seuls quelques xénacanthes survivront pour un temps dans le système suivant, le Trias, qui ouvre ce que l’on appelle le Mésozoïque, plus connu pour être l’ère durant laquelle ont vécu les dinosaures. Une conjonction de plusieurs facteurs semble être à l’origine de cette crise permo-triasique. En premier lieu, la baisse du niveau des mers à cette époque aurait eu pour conséquence la destruction des environnements côtiers.

Ensuite, une activité volcanique anormale aurait induit un réchauffement de l’atmosphère. Enfin, la formation de la Pangée, c’est-à-dire la réunion des masses continentales de l’époque en un seul supercontinent, a eu pour effet de réduire encore la superficie des environnements côtiers. Tous ces évènements ont probablement contribué à modifier les conditions de vie de nombreux organismes marins, et ceux qui n’ont pu s’adapter à ce nouvel environnement ont disparu, comme ce fût le cas de nombreux chondrichthyens. Cela sonne le glas de l’âge d’or des chondrichtyens, qui n’atteindront plus jamais un tel niveau de diversité et d’abondance dans les océans du globe.

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© Dessin Alain Beneteau

Carte paléogéographique de la Terre au Permien, il y a 250 millions d’années. A cette époque, tous les continents étaient regroupés en un vaste ‘supercontinent’, la Pangée, réduisant de facto l’étendue des zones côtières favorables a la vie marine.

Le Mésozoïque et l’apparition des requins modernes

Un seul groupe de requins a été relativement épargné par la grande crise de la fin du Permien, il s’agit des hybodontes. Les hybodontes sont des élasmobranches apparus dès le Dévonien supérieur, il y a 360 millions d’années, mais jusqu’à la fin du Permien, ces requins ne se sont pas vraiment diversifiés. De petites tailles, ne dépassant guère 60 centimètres de long, peu spécialisés, vivant aussi bien en mer qu’en eau douce, ils représentent une lignée plutôt discrète durant le Paléozoïque.

C’est certainement ce que l’on pourrait percevoir comme un certain manque d’ambition qui va permettre à ces animaux de survivre à la crise Permo-Triasique. Une petite taille et la capacité de se nourrir plus ou moins de n’importe quoi sans être inféodé à un type de proie donné sont de grands avantages lorsque les conditions de vie deviennent difficiles. Après la crise, ces animaux vont se retrouver plus ou moins sans concurrence, ce qui va leur permettre de se diversifier et de se spécialiser.

Les requins hybodontes se reconnaissent par la présence d’une forte épine en avant de chacune de leurs nageoires dorsales, des crochets céphaliques sur la tête des mâles, leur permettant de s’agripper aux femelles lors de la reproduction, et une gueule située en position terminale, et non ventrale comme chez les requins actuels.

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Reconstitution d’un hybodonte mésozoïque typique, Hybodus . Ce requin pouvait dépasser trois mètres de long. © Dessin Alain Beneteau

Durant la première partie du Mésozoïque, que l’on nomme le Trias, les hybodontes seront plus ou moins sans concurrence. Puis lors de la deuxième partie du Mésozoïque, le Jurassique, on verra se développer les requins modernes, ou néosélaciens. Durant la dernière partie du Mésozoïque, le Crétacé, les deux lignées co-existeront tout en se diversifiant. Certains hybodontes, comme Asteracanthus et Ptychodus, atteindront des tailles très respectables de l’ordre de six mètres, avec une dentition broyeuse leur permettant de se nourrir d’ammonites, des cephalopodes très communs durant le Mésozoïque, dont la coquille enroulée pouvait atteindre plus de deux mètres de diamètre.

Les requins néosélaciens se différencient aisément des hybodontes, outre par la position de leur gueule et des épines dorsales fort différentes, par la présence de vertèbres calcifiés, plus rigides que celles des hybodontes et permettant une nage plus rapide. Cependant, comme nous l’avons souligné dans l’introduction, les squelettes complets sont rares dans le registre fossile des requins. Heureusement, durant le Jurassique et le Crétacé, les dents des hybodontes et des néosélaciens se différencient aisément sur des caractères morphologiques, et on peut ainsi suivre l’évolution de ces deux lignées sans trop de problèmes.

Les choses sont plus délicates durant le Trias, époque à laquelle apparaissent les premiers néosélaciens. Encore peu spécialisées, leurs dents sont bien difficiles à différencier de celles des hybodontes, et suivre les premiers pas de l’évolution des néosélaciens s’avère assez difficile. Il est alors nécessaire d’utiliser des méthodes beaucoup plus pointues.

Les néosélaciens se caractérisent par la possession d’un émailloïde, le tissu correspondant, chez les requins, à l’émail de nos dents, très complexe. Chez les hybodontes et les autres requins fossiles, l’émailloïde se compose d’une couche plus ou moins homogène de microcristaux de fluorohydroxyapatite (une variante de l’apatite, le phosphate de Calcium qui compose l’os et les dents chez les vertébrés) qui s’enchevêtrent. Au contraire, chez les néosélaciens, on reconnaît trois couches bien distinctes : une couche externe très fine composée de microcristaux sans orientation particulière, une couche moyenne formée par des faisceaux de microcristaux parallèles les uns aux autres et une couche interne formée de faisceaux de microcristaux enchevêtrés.

Cette structure, très facile à reconnaître, nécessite cependant l’utilisation d’un microscope électronique à balayage, puisque ces microcristaux de fluorohydroxyapatite ne dépassent guère un micromètre de long.

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© Dessin Gilles Cuny

Emailloïde à trois couches des néosélaciens (à droite) comparé à l’émailloïde simple des requins plus anciens tels que l’hybodonte (à gauche), photographiés en microscopie électronique à balayage. La couche externe de l’émailloïde (en haut à droite) ressemble à la couche unique d’un hybodonte ; la couche moyenne est faite de faisceaux parallèles (au milieu à droite), et la couche interne, de faisceaux enchevêtrés (en bas à droite). Le schéma en haut à gauche montre la coupe d’une dent de requin typique avec : En : émailloïde, Or : dentine, Pu : cavité pulpaire et Trb : base de la dent.

Grâce à cette méthode, on a pu identifier le plus ancien néosélacien. Il s’agit d’une unique dent provenant du Trias inférieur de Turquie. La diversité de ces premiers néosélaciens s’accroit au Trias moyen, notamment en Amérique du Nord, mais c’est à la fin du Trias que l’on voit la première diversification réelle de ces animaux, avec 7 espèces reconnues en Europe et 5 au Canada. Cependant, aucun des néosélaciens triasiques n’appartient à une famille actuelle. Ils reprèsentent ce que l’on pourrait considérer comme une expérimentation et la grande majorité d’entre eux disparaîtra à la fin du Trias. Leurs dents sont morphologiquement très similaires à celles des hybodontes, et sans l’utilisation du microscope électronique il est peu probable qu’on ait pu les identifier correctement.

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© Photo Gilles Cuny

A gauche, une dent de Rhomphaiodon minor, un néosélacien primitif du Trias supérieur d’Europe. A droite, après une attaque de la surface de la dent à l’aide d’acide chlorhydrique, on voit apparaître la couche interne de l’émailloïde composée de faisceaux de microcristaux enchevêtrés si caractéristique des néosélaciens. Le grossissement sur la photo de droite est d’environ X600.

Après le Trias, au Jurassique, on verra apparaître petit à petit les premiers requins de type moderne, tout d’abord avec les hexanchiformes, suivi de nombreuses autres familles modernes. Ces derniers supplanteront petit à petit les hybodontes qui disparaîtront définitivement à la fin du Crétacé, en même temps que les dinosaures.

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Un hexanchiforme, les premiers requins modernes à apparaître dans le registre fossile © Dessin Alain Beneteau

Le Cénozoique ou la marche vers un monde moderne

Avec l’extinction des hybodontes à la fin du Mésozoïque, les faunes de poissons cartilagineux du Cénozoïque vont définitivement prendre l’aspect moderne qu’on leur connaît aujourd’hui, composées de chimères, relativement rares, d’une part et de requins et de raies, les néosélaciens, d’autre part.

Dès la fin du Crétacé, la plupart des familles de requins et de raies modernes étaient déjà apparues. Le cénozoïque ne verra que quelques ajouts à la diversité des néosélaciens. Chez les raies notamment, les torpilles et leurs organes électriques feront leur première apparition juste après la grande crise de la limite Crétacé-Tertiaire, au paléocène inférieur, il y a environ 62 millions d’années.

A l’Eocène inférieur, il y 54 millions d’années, ce sera au tour des Pristidés, les poissons scies, d’apparaître. A noter cependant que ce n’est pas la première fois qu’apparaît au sein des néosélaciens un rostre allongé garni de « dents » (il s’agit en fait de denticules dermiques modifiés, et non pas de vrai dents). Cet « outil » est apparu indépendamment trois fois chez les néosélaciens. La première fois au Crétacé moyen, il y a environ 120 millions d’années chez une famille de raies aujourd’hui disparue sans laisser de descendance, les Sclérorhynchidés. 25 millions d’années plus tard, au Crétacé supérieur, ce sera au tour des requins scies de faire leur apparition, puis à l’Eocène, on verra finalement apparaître les poissons scies, qui sont en fait des raies, et non des requins comme l’attestent leurs fentes branchiales situées sur la face ventrale de leur corps (elles sont situées sur le côté chez les requins).

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Un poisson scie moderne, Pristis perotteti. Ces animaux peuvent atteindre 6 mètres de long. © Dessin Alain Beneteau

Si le Cénozoïque ne voit pas l’apparition de beaucoup de nouvelles familles, la relative abondance de chaque type de requins va se modifier de façon très nette au cours des derniers 65 millions d’années. Aujourd’hui, les plus abondants des requins sont les Carcharhiniformes qui, avec entre autres les requins des récifs et les chiens de mers, représentent plus de 50% du nombre total d’espèces recensées (les raies ne sont pas prises en compte dans ce calcul).

Cependant cette domination des Carcharhiniformes est relativement récente, datant d’environ 5 millions d’années. Avant, c’était les Lamniformes, ou requins maquereaux, un groupe auquel appartient aujourd’hui le grand requin blanc, qui était en position dominante, alors qu’aujourd’hui ils ne représentent plus guère que 5% des espèces. Les raisons de ce remaniement ne sont pas clairement élucidés, mais il a eu pour effet de voir certains Lamniformes changer radicalement de mode de vie afin de survivre. C’est le cas des requins-lutins. Très commun dans les eaux peu profondes de toutes les mers du globe au Crétacé, on ne les trouve plus aujourd’hui que vivant à de grande profondeur, entre 350 et 600 mètres de profondeur, où ils semblent avoir trouvé refuge.

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Scapanorhynchus, un requin lutin du Crétacé. © Dessin Alain Beneteau

Les Lamniformes gardent malgré tout une place de choix au sein des requins, au moins dans l’imagination populaire, en tant que super-prédateurs, comme le montre aujourd’hui le grand requin blanc, Carcharodon carcharias. Les Carcharhiniformes n’ont cependant pas grand’chose à leur envier avec le requin tigre, Galeocerdo cuvieri, dont les mensurations sont très proches de celles du requin blanc, ces deux superbes prédateurs pouvant dépasser six mètres de long. Mais en retournant quelque peu dans le passé, on verra que ce sont les Lamniformes qui ont produit l’un des plus impressionnants prédateurs marins de tous les temps : Carcharocles megalodon C. megalodon apparaît pour la première fois au Miocène, il y a 23 millions d’années, et disparaît définitivement au Pliocène, il y a environ 2 millions d’années. Avec une taille maximale proche de 13 mètres et des dents atteignant 17 centimètres de haut, il est sans équivalent dans la nature actuelle. Contrairement à ce que l’on croit, C. megalodon n’est pas un proche parent de notre actuel requin blanc. Il appartient en fait à une famille disparue sans laisser de descendance, les Otodontidae, dont il fût le dernier représentant. Avec sa disparition, c’est un peu la fin du règne des Lamniformes et la mise en place de l’ordre actuel, dominé par les Carcharhiniformes.

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Dent de Carcharocles megalodon. Collection du Musée géologique de Copenhague © Photo Gilles Cuny

Les requins aujourd’hui

Après avoir suvécu à quatre grandes extinctions (celles du Dévonien supérieur, de la limite Permo-Triasique, du Trias supérieur et de la limite Crétacé-Tertiaire), les chondrichthyens sont encore représentés dans la nature actuelle par un peu plus d’un millier d’espèces, sans compter celles que l’on a pas encore identifiées. Cependant, c’est peut-être aujourd’hui qu’ils sont les plus menacés d’extinction.

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Les modifications de l’environnement, la pêche intensive et la pratique du « finning » (les ailerons, nageoires pectorales et dorsales sont coupés et le reste du corps est rejeté à la mer) les soumettent à une pression sans cesse croissante. Malheureusement, le faible taux de reproduction et l’âge tardif de leur maturité sexuelle, qui jusqu’à présent était plutôt un avantage pour l’évolution de ce groupe dans des conditions « normales », les rendent particulièrement vulnérables à la pêche industrielle. Il est donc temps de changer notre vision de l’exploitation de ces animaux. Les récentes lois européennes concernant la pratique du « finning » sont certainement un pas dans la bonne direction, mais reste encore trop permissives.

requin_14A ce rythme là, les populations risquent de complètement s’effondrer, et le retour à la normale, si toutefois il est possible, prendra plusieurs dizaines d’années. Les pêcheurs deviendront alors les premières vicitimes d’une telle situation. De plus, de nombreux pays découvrent que nombre de requins, y compris ceux avec une réputation des plus détestables, représentent une plus grande richesse économique vivants que morts. Il suffit d’en prendre pour exemple le développement de l’industrie du tourisme pour aller plonger, protéger par une cage, avec le grand requin blanc en Afrique du Sud ou en Australie, ou bien pour aller nager librement au milieu des majestueux requins baleines en Thailande.

Carcasse d’une raie géante d’eau douce, Himantura chaopraya, photographiée par l’auteur chez un pécheur de la région de Nakhon Sawan, en Thailande. © Photo Gilles Cuny

Ces raies, dont le diamètre du disque peut atteindre 1,80 m, sont désormais fort rares dans la rivière Chaopraya, le principal responsable de cette raréfaction semblant être la pollution.

Il ne dépend que de la sagesse des hommes pour qu’une lignée vieille de plusieurs centaines de millions d’années, qui a donné naissance a nombres d’animaux tellement impressionnants, voire à peine croyables, ne disparaissent pas. Il suffirait de renoncer à manger de la soupe aux ailerons de requins.

GILLES CUNY  Paléontologue.
Remerciements à Alain Beneteau, pour les dessins illustrant ce dossier.

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