Perspectives globales sur la biologie et l’histoire de la vie du requin blanc. Les requins blancs (Carcharodon carcharias) du Pacifique Nord-Est constituent une population génétiquement distincte et isolée démographiquement des autres populations d’Australie/Nouvelle-Zélande et d’Afrique du Sud. Dans le Pacifique Nord-Est, les requins blancs adultes et subadultes montrent une grande fidélité à la zone de rassemblement, respectivement en Centre Californie et sur l’Île de Guadalupe au Mexique.
Les individus marqués sur les deux sites migrent au large des côtes vers des habitats pélagiques communs mais reviennent systématiquement vers les côtes où ils ont été marqués. A ce jour, la preuve d’une connectivité dans ces zones côtières n’est pas évidente et soulève la question si elles constituent une seule et même population ou deux populations distinctes. Une troisième zone côtière, comprenant les eaux littorales de Point Conception en Californie, s’étendant du sud de la Baie de Californie du Sud, jusqu’à la Baie de Sebastian Vizcaino au Mexique, a été reconnue comme étant une zone de nurserie pour les Requins Blancs. Bien que les captures accidentelles dans la Baie de Californie du Sud constituent principalement des nouveau-nés et de grandes femelles, peu de preuves existent quant au déplacement de femelles adultes vers cette prétendue pouponnière, laissant la porte ouverte à la possibilité que la mise bas s’effectue ailleurs, suivie de la migration des nouveau-nés vers la nurserie.
Connectivité entre les requins blancs de la zone de rassemblement côtière du Pacifique nord-est
Nous allons illustrer comment de rares événements d’une grande banque de données de marquage fournissent d’importantes informations sur la connectivité des zones de rassemblement dans le Pacifique Nord-Est. Le marquage sonore révèle le déplacement exceptionnel d’une seule femelle sur 140 déplacements, du Centre Californie à l’Île de Guadalupe ; le premier résultat montrant un mouvement connectant les sites de rassemblement. Sur 97 transmissions d’archives d’émission de balises déployées en Centre Californie, un seul déplacement était effectué par une grande femelle guérissant des cicatrices d’un accouplement, signes qu’un accouplement avait eu lieu avant cette migration. Cette femelle a été suivie au large des côtes et finalement dans la Baie de Californie du Sud où la balise a émit un signal 362 jours plus tard au large de l’île de Santa Catalina. Le déplacement de cette femelle dans la Baie de Californie du Sud coïncidait avec le pic de période des nouveau-nés dans cette zone.
Introduction
Par le passé, beaucoup voyaient la mer comme un habitat en grande partie dépourvue de barrières physiques, un endroit où des espèces réparties sur le globe pouvaient errer, par la suite, échanger leurs gènes le long du chemin, comme une seule et très grande population (Palumbi, 1994). En effet, très tôt, des études sur la génétique de poissons marins concordaient avec cette opinion.
La plupart des espèces montraient peu de différences génétiques à grande échelle mondiale (Avise, 2000). Cependant, les études de marquage électronique ont fourni un nouvel aperçu dans le mouvement complexe des espèces de poissons marins hautement migratoires, incluant le Requin Blanc. Ces nouvelles données sur les requins montrent à présent, un haut niveau d’attachement à des lieux et un instinct de retour à son origine, établissant la structure de la population génétique à petite échelle, qui était, jusqu’à récemment, inattendue.
Les Requins Blancs du Pacifique Nord-Est (PNE) constituent un clade phylogénétique différent, basé sur des marqueurs ADN mitochondrial (Jorgensen et al., 2010). A ce jour, les données génétiques publiées recueillies pour le clade du PNE incluaient seulement les requins de Centre Californie (CC). Pourtant, les données de marquage électronique indiquent que l’isolement génétique des requins du PNE était potentiellement maintenu par un fort attachement à des lieux vers des habitats côtiers très précis et pélagiques (Jorgensen et al., 2010).
Le marquage a aussi montré que la fidélité à un lieu se produisait à des échelles plus localisées dans le PNE ; les Requins Blancs marqués près des colonies de phoques en CC reviennent régulièrement vers ces mêmes colonies après avoir visité des lieux au large, incluant Hawaii et le White Shark Café* (Jorgensen et al., 2010). De même, les Requins Blancs marqués près de la colonie des Éléphants de Mer du Nord de l’Île de Guadalupe (IG) ont aussi visité les mêmes zones au large (également appelées Hawaii et the Shared Offshore Foraging Area or SOFA**) (Domeier et Nasby-Lucas, 2008 ; Chapitres 11 et 12 de ce livre) et sont retournés systématiquement vers l’IG. Bien que les requins de ces lieux de rassemblement côtier du PNE se recoupent dans une zone pélagique de 1500 à 4000 km au large, il n’y a aucune preuve d’un individu se déplaçant entre ces sites côtiers, laissant la porte ouverte à davantage de structure de population dans le PNE. On ne sait pas si les groupes de ces deux sites de rassemblement constituent une seule ou deux populations distinctes. Comprendre le degré de connectivité de ces deux groupes du PNE séparés par la frontière Mexique – E.U. est vital pour déterminer avec succès le statut de leur population, le degré de brassage et les options de gestion.
La gestion des Requins Blancs du PNE requiert aussi des informations sur les étapes de la vie des jeunes individus. La Baie de Californie du Sud (BCS) a été hypothétiquement considérée comme une zone de nurserie, basée sur la concentration de nouveau-nés Requins Blancs arrivant ici en été et à l’automne (Klimley, 1985 ; chapitres 14 et 16 de ce livre). Cette pouponnière s’étend probablement de Point Conception en Californie, au sud le long de la côte traversant la frontière Mexique – E.U. jusqu’à la Baie de Sebastian Vizcaino (chapitres 14, 15 et 16 de ce livre). Les enregistrements du récent rapport de capture, ainsi que les données de suivi d’une femelle adulte (chapitre 16 de ce livre), indiquent que la pouponnière pourrait s’étendre plus au sud vers Cabo San Lucas et dans le Golfe de Californie, bien que les catégories de plus petites tailles (environ 150cm ; nouveau-nés) n’apparaissaient pas dans les enregistrements du Golfe de Californie (Galvan-Magana et al., 2010).
Les nouveau-nés naissent soit dans la BCS, soit ailleurs, puis ils migrent vers la pouponnière. Klimley (1985) a montré que les captures de Requins Blancs dans la BCS étaient composées essentiellement de nouveau-nés et de grandes femelles en été et à l’automne, tandis qu’au nord de Point Conception, les captures étaient principalement constituées de mâles et de femelles égales ou supérieurs à 2m en été, à l’automne et en hiver. La co-occurrence de saison des grandes femelles et des nouveau-nés suggère que les femelles en fin de terme migrent vers la pouponnière pour mettre bas. Pourtant, aucune des grandes femelles attrapées n’était enceinte (cinq femelles de plus de 4,5m en longueur totale) et les nouveau-nés étaient habituellement capturés plus près de la côte que les femelles adultes, ce qui soulève quelques doutes quant aux conclusions résultant de ces seules données de captures.
Nous avons utilisé des données de marquage électronique pour déterminer la connectivité dans le PNE, entre les Requins Blancs de CC et de l’IG et entre le CC et la pouponnière de la BCS. Les objectifs spécifiques de cette étude étaient de : 1. Suivre le modèle de déplacement potentiel entre le CC et l’IG ; 2. Décrire le mouvement d’une femelle adulte du CC qui se déplace vers l’habitat de la pouponnière des Requins Blancs en été et à l’automne pour la saison de mise bas ; et 3. Élucider davantage l’histoire de la vie, la structure de la population et la connectivité des Requins Blancs du PNE.
* White Shark Café : c’est une zone reculée au milieu de l’Océan Pacifique reconnue comme étant un habitat d’hiver et de printemps pour les Grands Requins Blancs des côtes.
** Shared Offshore Foraging Area or SOFA : la SOFA est une énorme zone (si grande que les Requins Blancs ne s’y rencontrent probablement jamais quand ils sont au large) où les Grands Requins Blancs de CC et de l’IG viennent pour se nourrir.
Matériel et méthodes
Quatre-vingt dix-sept balises de Transmission d’Archive de Signalement (TAS 2.0, 3.0 et 4.0 et Mk10-TAS ; Wildlife Computers, Redmond, WA) ont été déployées sur des Requins Blancs de CC.
Le déploiement et les méthodes d’estimation de positionnement sont décrits en détail dans Jorgensen et al. (2010). Pour déterminer le taux de voyage pendant la migration à partir du suivi des marquages satellites, nous avons calculé la distance de déplacement net, au fil du temps, entre les estimations de position reliant la zone côtière et le Café.
En outre, nous avons déployés 110 balises acoustiques émettrices, individuellement codées, (V16-4H ; Vemco, Halifax, Nouvelle Ecosse) en CC (décrit en détail par Jorgensen et al. 2010) et 31 balises de même modèle sur des Requins Blancs sur l’Île de Guadalupe (voir schéma 13.1 pour les informations de données de déploiement).
Six stations d’écoute acoustique VR-3 ont été placées sur les zones de rassemblement en CC du 16 Octobre 2006 au 2 Décembre 2009. Trois récepteurs acoustiques VR-2 ont été postés en activité autour de l’IG d’Août 2008 au 30 Octobre 2009. Les données acoustiques furent analysées avec MATLAB*** (The MathWorks, v.7.9.0.529). La distance totale supposait que chaque requin avait nagé aux côtés d’un navire de recherche, d’une distance parcourue connue. Vidéo et images ont été utilisées afin de déterminer le sexe et l’identification de chaque individu.
*** MATLAB : éditeur de logiciels de calculs techniques et scientifiques.
Schéma 13.1
Déplacement du Carcharodon carcharias entre le CC et l’IG déterminé par des balises acoustiques. (a) Les récepteurs furent activement déployés en CC du 15 Octobre 2006 au 14 Décembre 2009 (ligne noire) et du 22 Octobre 2008 au 30 Octobre 2009 sur l’IG (ligne rouge). Le Requin Blanc S153 fut marqué en Centre Californie le 13 Octobre 2008 et fut signalé (diamants noirs) localement pendant 29 jours avant de quitter la zone. Le requin fût par la suite, signalé sur l’IG le 12 Novembre 2008. S153 resta près de l’IG pendant 115 jours jusqu’au 7 Mars 2009. Ensuite, après 185 jours d’absence, le requin retourna sur l’IG le 10 Septembre 2009 et resta là pendant 50 jours de plus. (b) Le nombre cumulé de balises acoustiques déployées en CC (ligne noire) et sur l’IG (ligne rouge) au fil du temps, totalisa 110 en CC et 31 sur l’IG. Le déplacement d’un seul individu suggère que de tels échanges sont relativement rares.
Résultats
Sur les 141 déploiements de balises acoustiques, 110 en CC et 31 à l’IG, un seul individu fût signalé sur les deux sites (voir schéma 13.1a). La femelle de 3,66m, nommée S153, a été marquée le 14 Septembre 2008 près de Tomales Point en CC et est restée sur place le mois suivant jusqu’au 13 Octobre 2008. Pendant cette période de 29 jours, le requin a été détecté 528 fois avec un temps moyen de 28,9 minutes entre chaque signalement (minimum = 1,1 minute ; maximum = 5,4 jours). Le requin fût ensuite détecté sur l’IG, 1000 km au Sud Est, 29 jours plus tard, le 12 Novembre 2008.
La vitesse moyenne minimum du requin pour voyager de CC à l’IG fût de 34,5 km/jour. S153 resta ensuite sur l’IG jusqu’au 7 Mars 2009. Pendant cette période de 115 jours, le requin a été détecté 15365 fois avec un temps moyen de 11 minutes entre chaque signalement (minimum = 1,1 minute ; maximum = 7,9 jours). Le 7 Mars 2009, le requin a finalement disparu, coïncident avec la saison de migration au large attendue et ne fut pas signalé de nouveau pendant 185 jours. Le 10 Septembre 2009, S153 revint sur l’IG, où elle fût détectée pendant 50 autres jours grâce aux données recueillies, jusqu’au 30 Octobre 2009. Durant ces 50 jours, le requin fût signalé 386 fois avec une durée moyenne de 3,1 heures entre chaque signalement (minium = 1,1 minute ; maximum = 8,5 jours).
Un total de 68 Requins Blancs (23 femelles, 32 males et 13 individus au genre non identifié) ont été tracés avec succès grâce aux balises satellite. La durée moyenne de déploiement fût de 199 jours. Les dates de marquages, les tailles estimées, les durées de déploiement et les informations de genre sont résumés dans le Supplemental Table S1 dans Jorgensen et al. (2010). S70, une femelle marquée d’une balise de TAS le 9 Octobre 2006 au Sud Est des Îles Farallon en CC, a été suivie pendant 362 jours, ce qui est le plus long déploiement. D’après le marquage, le requin est resté à proximité du CC pendant plus de 3 mois jusqu’à ce qu’il prenne la direction du large vers la mi-Janvier (voir schéma 13.2). Le requin s’est dirigé vers la région du Café à un taux moyen de déplacement de 87 km/jour. Une fois au large, le requin est resté autour de la zone du Café jusqu’au mois d’Avril, puis se déplaça une fois directement vers la BCS (taux de déplacement moyen = 60 km/jour), pour retourner au large à nouveau (68 km/jour). Ce « revirement » a apparemment eu lieu avant qu’il n’atteigne le plateau continental, à l’heure où l’enregistrement de la balise montrait une température minimale de 13,6°C à la surface de l’eau, température atteinte les 16 et 17 Avril.
En Juin, le requin partit pour la BCS (50 km/jour), arriva au début du mois de Juillet et resta là au moins jusqu’au 5 Octobre 2007 quand la balise se détacha, d’après les données préprogrammées et qu’il fût d’abord détecté près de Two Harbors sur l’Île de Santa Catalina (voir schéma13.2). La longueur totale estimée de S70 quand elle fût marquée était de 4,88m. En général, les femelles de plus de 4,50m sont censées êtres des adultes pouvant se reproduire (Francis, 1996) et S70 fût la seule femelle montrant des preuves d’accouplements récents (Pratt and Carrier, 2001) quand elle fût marquée. Aucune autre femelle ou mâle marqués par balise satellite ne se sont déplacés vers la BCS pendant la période de suivi.
Sur les 23 femelles marquées d’une balise de TAS, neuf individus faisaient plus de 4,50m (adulte) et couvrirent une période de suivi passé le 16 Mai, la première date enregistrée sur la capture de nouveau-nés (moins ou égal à 150cm) (Klimley, 1985). Sur ces neuf enregistrements, deux individus sont retournés en Centre Californie en Août (le requin 50 et le requin 59 – Supplemental Table S1 dans Jorgensen et al., 2010) et six balises émirent un signal dans la zone du Café (deux de chaque en Juillet, en Août et en Septembre ; respectivement les requins 8, 91, 35, 42, 46 et le 137 (Jorgensen et al., 2010)).
Schéma 13.2
Le déplacement d’une femelle Requin Blanc du Centre Californie à la Baie de Californie du Sud. S70 fût marquée le 9 Octobre 2006 (petit triangle pointe en bas) près des Îles Farallon en CC et la balise émit, d’après le calendrier, le 5 Octobre 2007 (petit triangle pointe en haut) près de Fisherman’s Cove sur la côte Nord Est de l’Île de Santa Catalina dans la BCS. La ligne de suivi décrit une moyenne de 5 mouvements de position de géolocalisation et les couleurs correspondent au mois.
Débat
Le modèle de migration prévisible des Requins Blancs fréquentant l’ÎG, par rapport à ceux montrant un attachement aux colonies de phoques en CC fournit une possibilité irréfutable quant à la structure de population à l’intérieur du PNE. En fait, les résultats d’un précédent marquage n’avaient supposé aucun mouvement entre les deux zones de groupe (Domeier and Nasby-Lucas, 2008 ; Jorgensen et al., 2010 ; chapitres 11 et 16 de ce livre). Les documents ici présents concernant un seul individu se déplaçant entre le CC et l’ÎG, en dépit du grand nombre de signalements, suggèrent que de tels déplacements sont relativement rares. Néanmoins, d’après le marquage, S153 résida en CC pendant 1 mois, puis se déplaça vers l’ÎG, révélant pour la première fois une connectivité entre ces deux zones de groupe du PNE.
Étant donné l’isolement apparent entre les Requins Blancs fréquentant le CC et ceux de l’ÎG, le débat quant au potentiel échange génétique entre les groupes s’est concentré sur la possibilité de l’accouplement au large dans une zone partagée, le White Shark Café (Jorgensen et al., 2010), ou bien qu’un mélange se fasse dans une zone commune de progénitures, dans une seule nurserie de la BCS, d’où les jeunes mixtes pourraient se diriger soit vers l’ÎG, soit vers le CC. Toutefois, cette étude apporte la première documentation empirique quant à un échange direct à travers les migrations des deux groupes. L’utilisation continue de récepteurs acoustiques et de balises (qui ont une durée de vie de plus de 3 ans), nous aideront à déterminer combien de fois ces échanges surviennent, à condition que les récepteurs soient maintenus sur les deux sites.
La preuve de ces déplacements pourrait être expliquée plus en détail grâce aux méthodes de photo-identification des individus. Anderson et al. (2011) ont identifié près de 200 individus sur 22 ans, en utilisant des photographies de nageoires dorsales en CC. La morphologie des ailerons a montré qu’elle se conservait sur de longues périodes (Anderson et al., 2011) et qu’elle pouvait permettre l’identification des requins entre ceux de CC et ceux de l’ÎG pour les années à venir. Sur l’ÎG, 113 individus uniques furent identifiés sur 9 ans (chapitre 25 de ce livre) en utilisant seulement les marqueurs de pigmentation de peau. Chapple et al. (2011) ont estimé la population actuelle de Requins Blancs adultes et subadultes de CC à 219 individus (entre 130 et 275 ; 95% plausibles intervalles).
Sur l’ÎG, un système de marquage par re-capture des individus identifiés en 9 ans suggère un index d’abondance de près de 120 adultes et subadultes (chapitre 26 de ce livre) ; cependant, ce chiffre pourrait être sous-estimé. Néanmoins, potentiellement, un grand pourcentage d’adultes et un bon nombre de subadultes sont actuellement identifiés dans le PNE, soulevant la probabilité de détecter des échanges entre le CC et l’ÎG dans le future. Réaliser des photos de pigmentation de peau en CC est problématique à cause du peu de clarté de l’eau, tandis que sur l’ÎG on peut facilement réaliser ce genre de photos. Par conséquent, des efforts doivent être faits pour homogénéiser les méthodes d’identification en utilisant la morphologie des ailerons sur les deux sites.
Des tests moléculaires approfondis détermineront si les adultes de l’ÎG et de CC peuvent être génétiquement différents. La réponse est importante pour la conservation du Requin Blanc, car les estimations du nombre d’individus dans les deux groupes est anormalement faible. Si ces deux groupes ont en fait des fonds génétiques différents, des mesures différentes devront être développées. Toutefois, répondre à cette question de façon concluante sera difficile. Tout d’abord, l’ADN mitochondrial a un taux de mutation lent chez les requins (Martin et al., 1992). Très peu de séquences polymorphes furent observées dans la séquence ADN, qui aurait pu différencier ces supposées populations l’une de l’autre. En réalité, plus de 60% des individus de CC échantillonnés appartiennent à deux principales lignées de femelles (Jorgensen et al., 2010), ce qui signifie que bien plus d’échantillons devront être testés pour la signification statistique. Ensuite, même un niveau bas de mixité entre le CC et l’ÎG, que ce soit par flux de gènes ou par regroupement, peut inhiber la sensibilité des analyses génétiques. L’utilisation de marqueurs d’évolution plus rapides, tels que les microsatellites localisés, peuvent apporter de meilleurs tests pour les adultes de l’ÎG et de CC. Ces marqueurs fournissent aussi un moyen de relever les empreintes génétiques des individus (Gubili et al., 2009) et de quantifier les degrés de parenté (Feldheim et al., 2004).
Faire correspondre les adultes à leur progéniture dans la BCS est possible étant donné leur petite population et devrait aider à faire la distinction entre les systèmes de mixité potentielle.
Pour quantifier la mixité entre les deux sites, les balises acoustiques et satellites, les photos identification et la génétique sont des outils complémentaires importants. L’ampleur et le modèle de mixité sont importants pour comprendre si la population fonctionne en tant qu’une seule population mixte dans le PNE ou en tant que sous-populations séparées avec peu d’échanges. De plus, cela aidera à déterminer l’importance des pratiques organisées au-delà de la frontière E.U. – Mexique.
De même qu’avec la mixité entre le CC et l’ÎG, la preuve que les femelles se déplacent de CC vers la prétendue nurserie est faible. S70 fût la première femelle marquée et enregistrée, montrant qu’un Requin Blanc adulte voyageait de la zone de groupe de CC vers les environs de la zone de nurserie de la BCS. Le seul autre enregistrement publié vient d’un Requin Blanc qui avait été photographié sur les Îles du sud de Farallon le 7 Novembre 1988, puis photographié à nouveau 6 ans plus tard le 18 Octobre 1994, à mi-chemin entre l’Île de Santa Catalina et Newport Beach en Californie, dans la BCS (Anderson et Goldman, 1996).
Curieusement, le lieu où ce requin fût par la suite photographié dans la BCS se situait à moins de 30 km d’où la balise de S70 émit. Sur les neufs femelles adultes enregistrées passé le 16 Mai, S70 fût le seul individu marqué et enregistré montrant se modèle de déplacement ; cependant, c’était aussi la seule femelle marquée à montrer des marques d’accouplement. Deux des neufs requins sont retournés en Centre Californie durant l’année de marquage. Toutefois, la possibilité que certains des six individus restants se déplacèrent vers la BCS pendant la période de mise bas après que les balises n’émirent (dans la région du Café) ne peut pas être exclue, puisque les balises émirent entre Juillet et Septembre. Les observations de Requins Blancs femelles avec des marques récentes d’accouplement sont rares en CC. Durant le travail sur le terrain qui fût conduit en CC sur les deux dernières décennies, 395 rencontres avec des Requins Blancs furent photographiées pour documentation (Anderson et al., 2011), mais seulement cinq cas semblaient avoir des marques impliquant un accouplement et parmi ces cinq individus, seule S70 était marquée.
Les cinq cas étaient similaires dans le sens où les blessures étaient partiellement refermées. Le fait que ces marques d’accouplement soient peu fréquemment observées sur les Requins Blancs de CC suggère que, soit que les accouplements y sont rares, soit que les femelles restent généralement au large après l’accouplement, laissant le temps aux blessures de guérir. Aussi, l’absence d’observations de marques d’accouplement récent, malgré les précédentes observations, est incompatible avec l’hypothèse que les accouplements ont lieu avec une certaine régularité dans les zones côtières de CC, où les individus recherchent de la nourriture. Les taux de guérison sont élevés chez les Requins Blancs (chapitre 6 de ce livre). Néanmoins, la possibilité que les blessures de S70 soient survenues au large, au Café, avant d’arriver aux Îles Farallon ne peut être exclue. Quelque soit le lieu où les accouplements se font, la présence de cicatrices partiellement refermées puis le déplacement de S70 dans la BCS soulève l’hypothèse que les femelles gravides du groupe de CC migrent vers la BCS pour donner naissance (Klimley, 1985).
La période de gestation des Requins Blancs est supposée entre 12 et 18 mois (Francis, 1996). En supposant que ceci est exact et compte-tenu du calendrier des nouveau-nés (plus petits ou égal à 150cm ; Fancis, 1996) capturés dans la BCS en Août (Klimley, 1985), la fécondation doit avoir lieu entre Février et Août de l’année précédente. Si les marques d’accouplement de S70 sont arrivées environ plus de 45 jours avant la date de photographie (voir schéma 13.3 ; le 9 Octobre), et bien cette observation cadrerait avec la prédiction. Cependant, la période précise de gestation des Requins Blancs reste inconnue et la possibilité de stockage de sperme n’a pas non plus été déterminée par espèce.
Schéma 13.3
Le requin S70 juste avant son marquage le 8 Octobre 2006, montrant des preuves de blessures d’accouplement présumé partiellement guéries.
Conclusion
Précédemment, la connaissance et les données recueillies par les marquages satellite avaient suggérées un isolement entre les zones de groupe de CC (Centre Californie) et de l’ÎG ( Ile de Guadalupe), au sein-même du PNE ( Pacifique Nord Est ). Les Requins Blancs avaient montré un fort attachement à ces sites sans indication de mouvement entre eux, malgré le recoupement d’habitat et la mixité saisonnières dans les zones du large.
De plus, les données de suivi électronique devaient encore confirmer le déplacement des femelles (ou des mâles) à partir des zones dites d’adultes, vers la BCS. Grâce aux marquages satellite et acoustiques, aux identifications photo et aux données partagées entre les sites étudiés de CC et de l’ÎG, nous avons révélé de rares mais importantes observations illustrant le lien vital de ces trois zones côtières pour la compréhension et la gestion de la population de Requins Blancs dans le PNE.
Au niveau international, les Requins Blancs (Carcharodon carcharias) ont été classés comme possibles d’extinction sur la « liste rouge » de l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (IUCN, le 27/04/2010, catégorie VU A2cd+2cd) et sont listés dans l’Appendice II de la Convention on International Trade in Endangered Species.
Cette étude fournit une mise à jour de la dynamique spatiale sur la population des Requins Blancs du PNE, apportant une meilleure compréhension d’une espèce complexe, fournissant ainsi des informations supplémentaires quant à l’écologie reproductive et migratoire de cette espèce et soulignant l’importance de la collaboration entre les E.U. et le Mexique pour la recherche et la gestion.
Article traduit de l’anglais en exclusivité pour SMF. Travaux collégiaux menés par le docteur Mauricio Hoyos Padilla
Remerciements
Ce projet a été financé par les Fondations Sloan, Moore et Packard, dans le cadre du programme Tagging of Pacific Pelagics du Census of Marine Life. La Fondation Monterey Bay Aquarium, Shark Diver, les Fonds de The Guadalupe Island Conservation, Pfleger Institute of Environmental Research, Instituto Politecnico Nacional (COFAA, EDI), Iemanya Oceanica, la Fondation International Community, WWF-Telcel Alliance et Grupo Bursatil Mexicano ont aussi participé au support financier. Nous remercions J.P. Kanive, J. Barlow, C. Logan, R. Elliot, J. Cornelius, T. O’Leary, P. Douglas, G. Grivetto, k. Neff, B. Cornapple, J. Schaeffer, J. Fitzgerald, B. Becker, R. Theiss, C. Farwell, A. Carlisle, S. McAfee, J. O’Sullivan, M. Castleton, J. Ganong, L. Rodriguez et A. Swithenbank pour leur aide sur le terrain, en labo, pour le traitement de données et le montage. Nous remercions CICIMAR, la Marine Mexicaine, Comision de Areas Naturals Protegidas, Island Conservation et les pêcheurs locaux de l’Île de Guadalupe pour leur aide. Nous sommes reconnaissants envers SeaLife Conservation, R. Repas, E. Homer et l’équipage du R.S.V. Derek M. Bayliss, Horizon Charters, Islander Charters, Nautilus Explorer, Sea Escape, Solmar V et M/V Andrea Lynn pour leur navire. Le projet fût dirigé avec la permission U.S. du CDFG, MBNMS, GFNMS, NMFS, NPS et en vertu du Protocol 10765, Stanford University animal subjects. Au Mexique, les travaux furent conduits avec la permission du Secretaria del Medio Ambiente y Recursos Naturales (SGPA/DGVS/040053/07), Comision Natural de Areas Naturales Protegidas (F00.RNO.RBIG.-154/07 et F00.RNO.RBIG-166/07) et le Secretaria de Gobernacion con Oficio (DICOPPU/211/1827/07).
Sources
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Auteurs
Salvador J. Jorgensen
Université de Stanford et Aquarium de Monterey Bay
Taylor K. Chapple
Université de Californie à Davis
Scot Anderson
Inverness en Californie
Mauricio Hoyos
Centre Interdisciplinaire des Sciences Marines
Carol Reeb
Université de Stanford
Barbara A. Blockblanc
Université de Stanford
Article original (en anglais) : Connectivity among white sharks-2
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